Sébastien Badel

Ma musique

La Course

Nous vivons dans un mouvement perpétuel. Le temps coule tout seul, sans effort de notre part et nous devons toujours s'adapter à une nouvelle situation. De nouveaux besoins. Les éléments bougent, chacun avec son élan et son énergie propre. Nous aimerions tellement lui rester devant. Ce n'est pas gagné, c'est une course.

Engagés dans cette course, nous devons constamment faire face à des forces dérangeantes, s'opposant à notre confort. D'une manière ou d'autre. Peu importe notre statut social, notre fortune, notre succès, ou leur absence, il y a toujours une procédure en cours de route, qui sollicite notre devoir de défendre et entretenir le confort et l'équilibre.

Il semblerait que la vie soit en procédure perpétuelle de sortir l'homme de sa zone de confort. Certainement pour son bien. Et certainement avec un objectif de lui procurer un bien-être beaucoup plus durable et solide que ses petites envies temporaires.

Mais à ce jour, la plupart des personnes sur terre vivent dans une crainte constante que le confort, si difficilement obtenu, cesse d'être disponible. Aie !

La souffrance

Également, la plupart des personnes sont marquées à vie, par des moments de souffrances et de difficultés. Chacun marqué à sa manière, plus ou moins évidente. Je suppose que tous ont déjà traversé des passages que l'on ne souhaiterait plus jamais traverser une nouvelle fois. C'est au moins la première conclusion.

Il y en aura certainement d'autres, plus tard, des conclusions. Plus considérées, avec un recul sur les bénéfices durables de nos souffrances. Je suis convaincu que la guérison universelle de la vie est aussi réelle que sa discipline. Même si pour le moment présent, nous ne voyons pas sa valeur à long terme.

C'est un fait, des souffrances sont présentes. Les souvenirs d'elles nous remplissent de peurs et d'anxiétés. Peut-être que nous ne voulons pas l'admettre, ou elles ne sont pas à l'ordre du jour, mais conscients ou non, nous sommes tous influencés par nos traumatismes. La naissance elle-même en étant le premier. Certaines personnes n'oublieront jamais les douleurs de leur passé. J'en fais partie.

L'homme cherche donc des échappatoires à ses peines. Même les petites: le travail, les finances, le stress, la famille. Chacun à sa manière, en trouve plus ou moins les siennes.

La liberté

Moi, je joue au piano.
Je joue pour arrêter ma course un instant. Là, je crée un micro-monde, différent du monde réel. Le mien. Dans ma musique, je parle du monde réel et de comment je le ressens. Mais surtout, je m'en libère ! Je me libère de ma réalité matérielle, pour construire un autre univers, où les règles sont différentes.

J'y n'oublie pas les soucis, ni les peines. Ma musique en est souvent influencée. Mais j'arrive à exprimer et canaliser, à me défaire, en quelques sortes, de mes troubles pitoyables. Dans cet autre monde, je suis libre et je ne souffre pas. J'y danse et j'y chante. J'y parle librement, un langage différent, peu compris par la masse.

Comment ça marche ? Le défi est d'entrer dans un état de liberté. Là, on y décide les règles. On y crée les vérités et les réalités. Et personne n'y intervient. C'est un monde d'idées, sans restrictions à subir, sauf celles que l'on choisit. C'est ça, la liberté spirituelle.

C'est important à comprendre, car de là, tout devient possible. Chaque instant est une nouvelle opportunité. Même après la pire des catastrophes musicales, la musique redémarre, enthousiaste et nouvelle. Dès que l'on décide. L'envie de vivre et de réussir est inépuisable. D'un instant à l'autre, tout peut être à nouveau possible et disponible, comme au commencement. Nous pouvons toujours recommencer après qu'une évolution a mené à un échec. Dans la musique, comme dans toute autre aventure.

Et nous devons toujours recommencer ! Jusqu'à ce que nous soyons guidés et portés par une réussite supérieure aux limitations du passé. Tôt ou tard, elle viendra, l'inspiration. En forme d'énergie ou d'idées nouvelles. En forme de réponse aux échecs précédents. En forme de nouvelle vie ou d'espoir.

La vie n'a pas peur de détruire ce qu'elle a construit. La destruction est seulement pour mieux refaire après. Ce n'est pas la fin. Chaque saison laisse ses fruits, ses feuilles et ses branches, pour nourrir une nouvelle saison à venir.

À la fin d'un trajet, souvent longtemps après, on s'aperçoit que tout le voyage, toute l'expérience, avec ses énormes catastrophes et ses difficultés, n'était qu'un parcours nécessaire. Défiant, certes, mais parfait en soi. Vu les éléments présents, il n'aurait pas pu être plus facile.

Pour trouver le bonheur dans tout cela, nous devons accepter le cours des choses et non s'en plaindre, ni vouloir les changer. La vie coule comme elle peut et son trajet est parfait. Une rivière prend toujours le chemin le plus facile. Avec tous ses obstacles, ses passages, ses cascades et catastrophes, elle continue juste à couler, pour remplir tous les trous sur sa route. Jusqu'à déborder. Et les dépasser. Et elle continue son chemin, invincible. Oui, les cascades génèrent des peurs et des angoisses. Mais seulement quand on ne sait pas qu'on est immortel !

Ma musique est donc un partage de cette liberté. Je ne me préoccupe pas de l'approbation publique, ni celle de ceux qui n'aiment pas. Vous avez le droit, mais je ne joue pas pour ceux qui n'aiment pas.

C'est un partage pour ceux qui veulent découvrir et qui peuvent, plus ou moins, s'identifier avec son discours.

Le jugement

Dans la musique, il n'y a pas de sens du bien et du mal. Tout est pur et authentique. Comme un enfant qui fait un dessin. On aime ou on n'aime pas. C'est tout. Et ça peut changer en cours de route. On sort du domaine des jugements. Ceux qui y restent souffriront des limites de leurs propres opinions. Cela leur empêchera de vivre une nouvelle aventure, stimulante ou enrichissante. Tant pis pour eux.

Dans la liberté, il n'y a pas de jugement. Uniquement la découverte.

Il faut donc tenter d'être dans un état de vide, afin de pouvoir apprécier ce moment musical. Il existe des personnes qui sont naturellement capables de le faire : être sans jugement, ni d'attente. Pour eux, les choses sont faciles à comprendre.

Pour d'autres, comme pour moi-même, il est plus difficile de se détendre et d'entrer dans un état perceptif. Ou humble.
Mais seulement dans un état vide d'opinion, la vie peut nous parler et nous amener sur un trajet. Sans cela, on finit par s'ennuyer à mourir, ou s'énerver sérieusement. C'est tout raté.

Avec une bonne disposition, le voyage est unique et nouveau à chaque reprise. Après avoir écouté une quinzaine de fois, nous devenons confortables dans une même pièce de musique. Je sais de quoi je parle. J'écoute une pièce très souvent avant de la publier. Il me faut tout ça pour saisir le truc. Là, nous commençons à anticiper et à appréhender les mouvements. C'est là où nous allons y éprouver du plaisir et la découverte de sa richesse.
La musique devient une danse spirituelle. Un état d'âme.

Très peu de personnes expérimentent ce dont je parle. Évidemment, je trouve cela dommage. C'est pour ça que je vous donne cette explication. Pour augmenter le plaisir de mes auditeurs. Et du coup, le mien.

La pratique

Pratiquer cette liberté ?

Oubliez un instant où vous êtes.
Oubliez ce que vous pensez être,
ou devez faire.

Oubliez un instant, si vous le pouvez,
les images de votre passé et de votre futur.

Sortez de tout ça et soyez juste là!
La vie, c'est ici et maintenant.
Laissez la simplement vous parler, à travers la musique.
Soyez vide d'opinions et d'attentes. Pas grave si on rate un bout. On reprendra. Rien de plus simple.

Elle vous parlera, elle vous amènera. Certainement qu'elle vous donnera quelques pincées de son bonheur. Ça en vaudra la peine.

Les règles du jeu !

“Ce taré a mis du miel avec son pindakaas!”
Certainement que dans les années 80, aucun Hollandais aurait pensé à faire ça ! Une tartine grillée, au miel et pindakaas (beurre de cacahuète néerlandais). Au petit-déjeuner. Mon père, lui, oui. Pas de problème. C'était l'ordre du jour.

Reste dans tes principes et ton futur ennuyeux sera assuré.

Heureusement qu'il existe des taré, qui sortent de tout cadre. Ce sont eux qui rendent la vie intéressante et innovante. Mais oui, c'est fou et ça fait peur. Ça n'a pas encore été fait, on ne le connaît pas. Alors on n'en veut pas. On n'y est pas très à l'aise. On va peut-être perdre notre confort.

Personnellement, déranger l'ordre établi ne me dérange pas du tout. C'est même devenu un plaisir et souvent l'objectif. Pas pour le détruire, mais pour tester sa fiabilité. Et peut-être le faire progresser.

Qui est-ce, cet orgueilleux, qui prétend posséder la seule vérité, avec les droits absolus ? Je veux bien le déranger un peu, pour voir sa nature.

Mais il faut du style et de la classe. De la dignité. Et du respect pour les choses prouvés et véridiques. Trop souvent, les rebelles sont des insensés, sans notion des profondes valeurs, acquis par la vie elle-même. L'harmonie est profonde.

S'opposer aux égoïstes et aux orgueilleux, pas de problème. Mais s'opposer à la vie, ....? À elle ?

Prétentieux et vraiment pas intelligent. Elle est infiniment plus forte et rusée que nous, les tarés. On risque fort de perdre la bataille. Même qu'elle restera aimante et miséricordieuse.

Mais encore, des taré, ça reste des taré. Il y a toujours deux côtés à une médaille. Pour l'instant, je m'identifie avec eux. Les hors-la-loi. Les hors cadre. S'opposant bien fort à ceux qui prétendent savoir mieux en voulant diriger les autres. Pour quelle raison ? On vous a demandé de nous diriger ? Je refuse.

Mon jeu au piano ? C'est elle, la vie. C'est elle qui dirige. Rien d'autre. C'est elle qui s'exprime, au mieux et au pire. Elle coule comme elle le veut.

Des fois capricieuse, des fois classe, des fois folle ou distraite. Ou encore perdue, parce que oui, elle se perd aussi des fois, bien comme il faut. Plus souvent que l'on pense. Mais elle restera toujours belle. Et digne d'être aimée !

Moi, je ne suis que son moyen d'être. Et j'en suis content. Cela me suffit pour vivre. Avec elle, j'ai tout ce dont j'ai besoin. Et je continuerai à jouer au piano, de temps en temps, quand elle m'y inspire...

Et vous ?
Peut-être vous continuerez à écouter. J'en serai heureux.

En-tout-cas, merci d'avoir lu jusqu'à là.
Bravo ! 🌹 😀❤️


Sébastien Badel,

alias Aman
Belledonne, Rhône-Alpes, France
Le 29 janvier 2024.

Ce jour, le post-anniversaire de mon grand-père néerlandais.
Marinus Jan Hendrikse (1920-1986). Un homme de valeur, droit et digne, qui a refusé de compromettre sa morale. Il aimait sa famille et son petit-fils, qui jouait au piano. C'est à lui que je dédie ce texte et cette pièce de musique, impro n°315, sur un tableau de Vincent van Gogh, "De Ruijterkade à Amsterdam". Un endroit que mon grand-père connaissait bien.